http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/03/06/affaire-apollonia-la-juge-s-attaque-aux-banques_1652463_3234.html#xtor=AL-32280270
Affaire Apollonia : la juge s'attaque aux banques
Catherine Lévy, juge d'instruction à Marseille,
revient du Maroc. Elle est allée saisir la luxueuse villa
que détiennent à Marrakech Jean et Viviane Badache, tous deux mis en examen, pour
escroquerie en bande organisée. Ces dirigeants-fondateurs d'Apollonia, une
société d'Aix-en-Provence chargée de commercialiser des biens immobiliers en défiscalisation, sont
poursuivis à la suite de plaintes déposées par un millier de leurs clients, qui
estiment avoir été trompés.
L'enquête
ouverte en juin 2008 s'épaissit de mois en mois, avec 35 personnes mises en
examen, dont 9 sont ou ont été incarcérées à titre préventif. Après la
mise en cause de personnes physiques – collaborateurs d'Apollonia et partenaires,
notaires, courtiers et cadres de banques –, Mme Lévy remonte le fil
des responsabilités.
La juge va entendre dans les prochains
jours des dirigeants des banques concernées. Elle envisage, dans certains cas,
leur mise en examen en tant que personnes morales. Ce qui serait une première
judiciaire. "Leur mise en cause me semble inéluctable, affirme Claude Michel, président de l'association des
victimes (Asdevilm). Le dossier pénal montre que, pendant dix ans, et à des
milliers de reprises, ces banques ont délibérément violé les règles de
protection du consommateur et n'ont pas contrôlé les pratiques de leurs
services." M. Michel a alerté l'Autorité de contrôle prudentiel, par une
lettre, le 21 février.
DES
LOGEMENTS SURÉVALUÉS
Entre 1999
et 2008, les vendeurs d'Apollonia ont écoulé 7 500 appartements et résidences
en tous genres, auprès d'une clientèle aisée. Ils promettaient des compléments
de retraite substantiels, grâce à la location de ces biens immobiliers meublés,
achetés à crédit.
Marc Daumet,
médecin généraliste dans l'Isère, se remet de sa dépression : "J'ai
frôlé la tombe, heureusement ma femme était là. J'ai repris mon activité mais à
40 %." M. Daumet a acquis 17 appartements pour 3,3 millions d'euros
financés à 100 % à crédit. Les loyers devaient couvrir les mensualités ;
les biens, une fois remboursés, devaient rapporter beaucoup
d'argent. Mais les prix de vente des logements ont été largement surévalués. Un
studio à Nevers a été vendu 4 000 euros le mètre carré, le double du prix du
marché. Un pavillon à Grimaud (Var), acquis 416 000 euros, ne valait que 196
000 euros. Les loyers promis n'étant pas au rendez-vous, les emprunteurs se
sont retrouvés surendettés.
"La
facilité avec laquelle Apollonia nous obtenait les prêts crédibilisait le
système", dit M.
Michel. Sans le concours des six banques partenaires (le Crédit immobilier, par
le biais de sa filiale Banque Patrimoine immobilier, BPI, et son antenne
en Rhône-Alpes Cifraa, le Crédit mutuel, le Crédit agricole, BNP Personal Finance, HSBC, GE Money Bank), le mécanisme conçu par Apollonia
n'aurait pas fonctionné. Les prêteurs n'ont en fait jamais rencontré leurs
clients et, surtout, ne leur ont pas adressé, comme la loi Scrivener les y
oblige, une offre de prêt par courrier à leur domicile.
"DES
DOCUMENTS FALSIFIÉS"
Au vu des
pièces que Le Monde a pu consulter, le dossier pénal
est lourd. Interrogé le 4 juillet 2011 par la police judiciaire (PJ) sur la
violation de la loi Scrivener, Jean-Noël Vulin,
ex-directeur des engagements de Cifraa, explique qu'"Apollonia nous
demandait de ne pas avoir de contact avec ses
clients". Cette exigence était acceptée, "car Apollonia était
un apporteur d'affaires important et nous souhaitions conserver notre collaboration. (...) Cifraa dans son ensemble
a accepté cette façon de procéder".
"On
savait (...) que les offres de prêt étaient adressées à Apollonia. Ce problème
a été évoqué en comité de direction, mais nous avons collégialement accepté les
risques. (...) Nous étions loin de nous douter que ces dossiers
n'étaient pas montés correctement." Plus tard, le 15 juillet, M. Vulin admet que la
situation financière des clients n'était pas étudiée : "Dans la plupart
des dossiers, nous n'avions pas les relevés bancaires."
De son côté,
lors de sa garde à vue le 8 novembre 2011, Hervé Pérotin, directeur régional de BNP Personal
Finance Rhône-Alpes, déclare que "la loi Scrivener n'était pas
respectée (...)" et que cette pratique découlait "d'un process
au niveau national, (...) au niveau de la direction générale BNP Paribas Investimmo. (...) Cette pratique était
utilisée par tous les collaborateurs et pas seulement dans l'agence dont
j'étais le directeur". Selon lui, elle a été "stoppée, bannie,
courant 2009 (...) par une instruction orale (...) à la suite des problèmes
qu'a entraînés l'affaire Apollonia".
Interrogées,
la plupart des banques mises en cause n'ont pas souhaité répondre. Toutes s'estiment
victimes. Certaines se sont constituées parties civiles : BNP Personal Finance
et GE Money Bank. "Ce sont les banques qui ont été trompées par
Apollonia, avec des documents falsifiés et de multiples demandes de prêts",
relève Ludovic Malgrain, avocat de
BNP Paribas.
Anne Michel et Isabelle Rey-Lefebvre