samedi 10 mars 2012

Affaire Apollonia : la juge s'attaque aux banques

 

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Affaire Apollonia : la juge s'attaque aux banques

| 06.03.12 | 13h29   •  Mis à jour le 06.03.12 | 15h06

   
Catherine Lévy, juge d'instruction à Marseille, revient du Maroc. Elle est allée saisir la luxueuse villa que détiennent à Marrakech Jean et Viviane Badache, tous deux mis en examen, pour escroquerie en bande organisée. Ces dirigeants-fondateurs d'Apollonia, une société d'Aix-en-Provence chargée de commercialiser des biens immobiliers en défiscalisation, sont poursuivis à la suite de plaintes déposées par un millier de leurs clients, qui estiment avoir été trompés.
L'enquête ouverte en juin 2008 s'épaissit de mois en mois, avec 35 personnes mises en examen, dont 9 sont ou ont été incarcérées à titre préventif. Après la mise en cause de personnes physiques – collaborateurs d'Apollonia et partenaires, notaires, courtiers et cadres de banques –, Mme Lévy remonte le fil des responsabilités.
La juge va entendre dans les prochains jours des dirigeants des banques concernées. Elle envisage, dans certains cas, leur mise en examen en tant que personnes morales. Ce qui serait une première judiciaire. "Leur mise en cause me semble inéluctable, affirme Claude Michel, président de l'association des victimes (Asdevilm). Le dossier pénal montre que, pendant dix ans, et à des milliers de reprises, ces banques ont délibérément violé les règles de protection du consommateur et n'ont pas contrôlé les pratiques de leurs services." M. Michel a alerté l'Autorité de contrôle prudentiel, par une lettre, le 21 février.
DES LOGEMENTS SURÉVALUÉS
Entre 1999 et 2008, les vendeurs d'Apollonia ont écoulé 7 500 appartements et résidences en tous genres, auprès d'une clientèle aisée. Ils promettaient des compléments de retraite substantiels, grâce à la location de ces biens immobiliers meublés, achetés à crédit.
Marc Daumet, médecin généraliste dans l'Isère, se remet de sa dépression : "J'ai frôlé la tombe, heureusement ma femme était là. J'ai repris mon activité mais à 40 %." M. Daumet a acquis 17 appartements pour 3,3 millions d'euros financés à 100 % à crédit. Les loyers devaient couvrir les mensualités ; les biens, une fois remboursés, devaient rapporter beaucoup d'argent. Mais les prix de vente des logements ont été largement surévalués. Un studio à Nevers a été vendu 4 000 euros le mètre carré, le double du prix du marché. Un pavillon à Grimaud (Var), acquis 416 000 euros, ne valait que 196 000 euros. Les loyers promis n'étant pas au rendez-vous, les emprunteurs se sont retrouvés surendettés.
"La facilité avec laquelle Apollonia nous obtenait les prêts crédibilisait le système", dit M. Michel. Sans le concours des six banques partenaires (le Crédit immobilier, par le biais de sa filiale Banque Patrimoine immobilier, BPI, et son antenne en Rhône-Alpes Cifraa, le Crédit mutuel, le Crédit agricole, BNP Personal Finance, HSBC, GE Money Bank), le mécanisme conçu par Apollonia n'aurait pas fonctionné. Les prêteurs n'ont en fait jamais rencontré leurs clients et, surtout, ne leur ont pas adressé, comme la loi Scrivener les y oblige, une offre de prêt par courrier à leur domicile.
"DES DOCUMENTS FALSIFIÉS"
Au vu des pièces que Le Monde a pu consulter, le dossier pénal est lourd. Interrogé le 4 juillet 2011 par la police judiciaire (PJ) sur la violation de la loi Scrivener, Jean-Noël Vulin, ex-directeur des engagements de Cifraa, explique qu'"Apollonia nous demandait de ne pas avoir de contact avec ses clients". Cette exigence était acceptée, "car Apollonia était un apporteur d'affaires important et nous souhaitions conserver notre collaboration. (...) Cifraa dans son ensemble a accepté cette façon de procéder".
"On savait (...) que les offres de prêt étaient adressées à Apollonia. Ce problème a été évoqué en comité de direction, mais nous avons collégialement accepté les risques. (...) Nous étions loin de nous douter que ces dossiers n'étaient pas montés correctement." Plus tard, le 15 juillet, M. Vulin admet que la situation financière des clients n'était pas étudiée : "Dans la plupart des dossiers, nous n'avions pas les relevés bancaires."
De son côté, lors de sa garde à vue le 8 novembre 2011, Hervé Pérotin, directeur régional de BNP Personal Finance Rhône-Alpes, déclare que "la loi Scrivener n'était pas respectée (...)" et que cette pratique découlait "d'un process au niveau national, (...) au niveau de la direction générale BNP Paribas Investimmo. (...) Cette pratique était utilisée par tous les collaborateurs et pas seulement dans l'agence dont j'étais le directeur". Selon lui, elle a été "stoppée, bannie, courant 2009 (...) par une instruction orale (...) à la suite des problèmes qu'a entraînés l'affaire Apollonia".
Interrogées, la plupart des banques mises en cause n'ont pas souhaité répondre. Toutes s'estiment victimes. Certaines se sont constituées parties civiles : BNP Personal Finance et GE Money Bank. "Ce sont les banques qui ont été trompées par Apollonia, avec des documents falsifiés et de multiples demandes de prêts", relève Ludovic Malgrain, avocat de BNP Paribas.
Anne Michel et Isabelle Rey-Lefebvre